gilbert decock
Aux antipodes - faut-il vraiment le rappeler ? - de toute conception utilitariste du constructivisme des premières heures, l'art construit de Gilbert Decock est une proposition à l'état pur, une abstraction première qui flirte avec l'essentiel. Avec cette élégance et ce sourire dans le regard qu'on lui connait, Decock avait déjà résolu la quadrature du cercle. Aujourd'hui, le carré a délogé le cercle et s'est en quelque sorte dédoublé: épousailles du carré avec le carré, gémellité si intime qu'on ne sait trop qui prend la place de l'autre. Tantôt l'un se loge dans l'autre, tantôt, au péril d'un ultime pivotement qui frise le déséquilibre, l'un et l'autre semblent enfin trouver la place qui leur était destinée. C'est sans doute que leur destin devait être définitivement scellé.

S'il y a une logique qui préside aux circonvolutions du carré chez G. Decock, c'est davantage la chronologie de l'éclatement qui définissent ici le travail de Nic Joosen. L'accident y semble le bienvenu comme une chronique de rupture annoncée : explosions du carré, découpages, segmentations, tentatives de jonction, collage. Le cutter a ordonnancé la danse du carré. Figures contrôlées, enfin rappelées à l'ordre par la mine de plomb. Nic Joosen semble cependant quelque peu garder ses distances avec l'art construit. Quelques constats déclinent ce qui différencie les deux artistes.

S'il est vrai que ce knokkois de souche défie la tradition flamande en proposant un vocabulaire ascétique et une intransigeance plastique, il y a, chez G. Decock, un appel de la couleur qui, comme un appel incessant de la mer, recouvre de vague en vague, d'aplat en aplat, une subtile sensibilité que l'on débusque jusque dans son jeu de carrés noirs et blancs. De la même façon, ses carrés, que l'on pourrait croire voués à l'immobilisme, impriment une dynamique intérieure qui refuse l'enfermement. Chaque planche inclut sa propre équation, sa propre économie, son ordre propre, prémédité. Il s'agit à chaque fois, ches Decock, de l'invention d'une autre réalité : la sienne.

La désarticulation du carré de Nic Joosendont les grandes pièces en corten s'inscrivent naturellement dans l'histoire des aciéries liégeoises est une succession de plans-séquences qui, peu à peu, comme un "story-board", plient le dessin à un autre dessin : l'annonce de la sculpture. A la différence de Decock, Nic Joosen ne dédaigne pas le sujet ni la référence au monde qui l'environne : fenêtres, portiques, lieux de passages, feuilles plus grandes que nature, clochers en réduction. Sa décision, en l'occurence, l'éloigne des chemins tracés par Gilbert Decock, ses choix sont fondamentalement autres.

La circulation du carré, une partition à quatre mains pour piano forte ou clavecin dont les touches noires et blanches sont inversées : touches noires sur fond blanc pour Gilbert Decock, blanches sur fond noir pour Nic Joosen. Deux lectures différentes qui rejoignent un point de convergence qui sous-tend ces oeuvres en petit format : la quête de la spiritualité.


André Romus (peintre-cinéaste)




SONARE, 1993
90 x 90 cm




GHAZAL, 1994
110 x 110 cm


GHAZAL, 1994
110 x 110 cm




STELE, 1993
2 x 56 x 81 cm