gilbert decock
Né à Knokke, 1928

Le carré, le cercle et le triangle – les trois formes primaires – sont les éléments de l'alphabet graphique de Gilbert Decock, comme les sept notes de la gamme le sont pour le compositeur. Et comme pour ce dernier, ce nombre restreint de composantes permet une infinité de variations, tout en forçant l'artiste à ne pas se laisser aller à des effusions lyriques qui noieraient son propos : il l'oblige au contraire à une intensification et à un approfondissement internes rigoureux.

Cette discipline, ce contrôle sont poussés chez Decock jusqu'au minimalisme et à un degré d'ascétisme, autant dans la forme que dans la pensée, qui est fort proche de la psalmodie de la musique grégorienne. Elles donnent à son œuvre une charge de sérénité et une forme de contemplation exceptionnelles. Parce qu'il lui est loisible soit d'intégrer ces formes les unes dans les autres – le carré dans le cercle ou le cercle dans le carré, ce qui provoque des rapports d'un tout autre ordre –, soit de les soumettre à des pivotements, des superpositions légèrement décalées, des renversements – un triangle dressé sur sa pointe est d'un tout autre poids qu'un triangle reposant sur sa base –, qui, amplifiés à l'infini, peuvent aller jusqu'à évoquer l'harmonie des sphères ou l'abstraction totale de la pensée pure.

Tout, chez Decock, comme chez les Grecs anciens est géométrie : aussi bien la stabilité apparente du monde matériel que le mouvement perpétuel de tous les corps dans l'espace. Ses toiles sont strictement bidimensionnelles : sans effet de perspective, sans trompe-l'œil, sans même la provocation délibérée d'une émotion, si ce n'est la sérénité, cette émotion de l'apaisement. Mais son génie à couper les angles dans les carrés, à interrompre le tracé d'un cercle, à alterner les plans formés par une plage de couleur avec le simple contour d'une surface, et à superposer ces images tronquées ou fondues, enchaînées les unes aux autres, lui permet de suggérer des profondeurs, des pénétrations, des couches, des rotations aussi insensibles que la formation d'un flocon de neige ou le passage de la lune derrière un écran de nuages. Il suffit d'aller voir son intégration dans la station Arts-Loi du métro de Bruxelles pour s'en rendre compte. Les sculptures, elles, gardent le plus souvent une « façade » plane dans laquelle les vides et les creux sont aussi déterminants que les volumes et qui ne s'animent que quand on les fait pivoter ou que l'on se déplace devant.

A première vue, la peinture de Gilbert Decock a quelque chose de sévère, de rigide. Mais un œil complaisant et intéressé (comme doit l'être tout œil artistique, sinon l'art n'est qu'une tentative malhabile à refléter le « réel ») et un esprit ouvert (qui est disposé à transcender les apparences) y découvre bientôt une pulsation tranquille, une vibration ample, une stabilité équilibrée, une affirmation à la fois simple et complexe : simple par la structure, complexe par la symbolique à laquelle elle se prête avec tant de force et d'évidence. C'est cette symbolique sous-jacente (qui, loin de s'imposer, demande qu'on la perçoive par une affinité interne) qui assure la richesse de l'œuvre de Gilbert Decock et qui sollicite une participation intense de la part du spectateur. La récompense en est l'accès à un monde dont la tranquillité n'étouffe pas le dynamisme et dont la beauté, servie paradoxalement par une gamme très restreinte de couleurs – noir, brun, vert dont jaillissent occasionnellement des brèves fulgurances jaunes ou rouges – le pénètre progressivement.

L'ouvre de Decock est profondément imprégnée non seulement par la rigueur des principes de la géométrie ; elle est nourrie aussi par l'étude qu'il a faite de religions et de philosophies tant européennes qu'asiatiques, tant anciennes que modernes. La spiritualité du zen, son caractère intensément introspectif, la respiration dominée de son mode de pensées, ainsi que la religion hindoue lui inspirent en grande partie le titre de ses œuvres : Isjtar côtoie Euclide, Mizraim accompagne Ghazal. Mais ils n'aident qu'indirectement à la compréhension des toiles ou des « stèles ». C'est que l'oeuvre de Decock, sous des dehors dépouillés et directs, garde toujours une part de son mystère et reste énigmatique – pour le plus grand bonheur de tous les amateurs d'art qui pensent qu'à tout comprendre tout de suite l'intérêt s'émousse ou se meurt bientôt.

Wim Toebosch (AICA)





DHYANA II, 1998
Huile sur toile
70 x 70 cm




LAHUNE (diptyque), 2001
Huile sur toile
2 x 70 x 70 cm